sábado, 4 de agosto de 2012

De Thomas Bernhard a Michel Foucault

I

Le conseil avisé que donne Thomas Bernhard, Jonathan Taylor ne l’a pas suivi. Quel est ce conseil ? « Gardez-vous de visiter les lieux des écrivains, des poètes et des philosophes, après cela vous ne les comprendrez absolument plus. » Qui est Jonathan Taylor ? Un écrivain américain qui admire Thomas Bernhard au point d’organiser un voyage dans son village natal d’Ohlsdorf, en Haute-Autriche.

Un voyage d’admiration… Quelle ineptie! se serait exclamé Thomas Bernhard. La véritable intelligence ne connaît pas l’admiration. « Les gens vont comme avec un sac à dos dans toutes les églises et dans tous les musées, et c’est pourquoi ils ont toujours ce maintien courbé, répugnant, qu’ils ont bien tous dans les églises et les musées » , a-t-il encore dit.

Il en fallait plus pour arrêter Jonathan Taylor. Il voulait voir la Suzuki Samouraï vert foncé − soit dit en passant, et bien que cela importe peu : ma voiture préférée − et il l’a vue. Il a bavardé avec le frère de Thomas Bernhard, qui est médecin. Ce dernier s’est montré d’autant plus prévenant qu’il sait que les œuvres de Bernhard n’ont trouvé qu’un faible écho parmi les lecteurs anglophones. Ils pensent qu’elles ressemblent à du Samuel Beckett et se disent : on a déjà eu cela, pourquoi en aurait-on besoin à nouveau ?

Jonathan Taylor observe que, dans toutes les pièces de la demeure de Thomas Bernhard, alors qu’il ne buvait pas, se trouvaient les meilleures bouteilles de xérès et de vermouth. On pouvait également y écouter les Variations de Goldberg jouées par Glenn Gould. Mais le docteur Fabjan, le frère de Thomas donc, lui révéla qu’il aimait aussi beaucoup Prince et les schlager viennois. Jonathan Taylor n’en revenait pas. Il s’est alors demandé si toute cette mise en scène, qui était l’œuvre du docteur Fabjan, n’était pas à l’image de l’œuvre de son frère, c’est-à-dire essentiellement satirique.

Jonathan Taylor a alors compris à quel point Thomas Bernhard était un auteur typiquement viennois, même s’il détestait les cafés viennois parce qu’il y était toujours confronté à des gens comme lui. Il fuyait les cafés littéraires, mais comme il était atteint du syndrome du pilier de café, il ne pouvait pas s’empêcher d’ y entrer tout le temps, bien que tout en lui se rebellât à cette idée.
 
Comme tout cela a dû sembler étrange à un écrivain américain ! Mais c’est précisément ce sentiment d’étrangeté qui fait tout le charme et la drôlerie de ce pèlerinage dans les hauts lieux bernhardiens. On se délectera en le lisant dans l’excellente revue Believer.

II
Ronald Laing a rendu un immense service à Michel Foucault en réduisant son Histoire de la folie à l’âge classique de 300 pages, en supprimant toutes les notes et en lui donnant pour titre anglais : Madness and Civilization. Il avait conscience que l’érudition n’est que de la poussière destinée à meubler des crânes vides. Michel Foucault en convenait. Il convenait aussi que le livre de son ami Thomas Szasz, sommité de la psychiatrie américaine, Fabriquer la folie, était nettement supérieur au sien. Il l’a d’ailleurs répété dans un entretien que nous avions réalisé pour Le Monde.

Si j’y reviens, c’est que la complicité et les affinités intellectuelles qui liaient Michel Foucault, souvent considéré à tort comme un gauchiste, et Thomas Szasz, le libertaire insolent, ont été esquivées par les intellectuels français. Je me souviendrai toujours de Michel Foucault me disant, au terme d’une soirée passée chez lui : « Je suis un libéral comme vous. Et d’ailleurs je ne comprends rien aux masses. »
 
Mais ce qui m’incite aujourd’hui à revenir sur les positions communes de Michel Foucault et de Thomas Szasz, c’est que ce dernier vient de publier un essai qui aurait ravi son ami français : Suicide Prohibition : the Shame of Medicine. Il faudra que je l’offre à Patrick Declerck, autre esprit libre nourri de psychanalyse, qui publie ces jours-ci son autobiographie chez Gallimard sous le titre : Démons me turlupinant6. Un de ses chapitres commence ainsi : « Ce n’est pas pour me vanter, mais je soupçonne que je ne voulais pas naître. »
 
Nous voici en famille.

Dans son classique Les Naufragés, Patrick Declerck, qui a passé plus de quinze ans à côtoyer les clochards de Paris, disait qu’ils ont cette hautaine noblesse de ne plus faire de phrases, de ne plus croire au progrès ou en l’avenir de l’homme. De ne plus croire au fond en rien d’autre qu’au néant et à la mort. C’est là toute la religion qu’ils ont et ils n’en veulent pas d’autre. « Nous ne sommes pas si nombreux, nous les hommes, à pouvoir vivre sans espoir », concluait-il. À ceux qui ont abandonné tout espoir, on ne peut que recommander la lecture de Thomas Szasz et de Patrick Declerck. Comme tous les nihilistes pur jus, ils sont d’une drôlerie qui vous réconcilierait presque avec les misères de l’existence. 

Vía Causeur

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